L’intégration des soins et ses déclinaisons régionales

La Romandie a toujours revendiqué sa différence
Dr Marc Cikes, directeur générale du réseau Delta Vaud et membre du comité directeur du fmc
L’intégration des soins a déjà fait l’objet d’une abondante littérature dans notre pays et à l’étranger. De cet enchevêtrement de faits et d’analyses parfois contradictoires émerge toutefois un constat sur lequel tout le monde s’accorde : l’intégration des soins se vit à l’échelle régionale.

Oliver Reich
Quel que soit le secteur concerné, la pratique nous démontre que les collaborations de proximité sont le plus à même de faire émerger des modèles d’intégration viables et efficients. Cette dimension régionale est souvent occultée au profit de concepts parfois abstraits reposant exclusivement sur des approches institutionnelles. Il ne s’agit évidemment pas de contester la place des institutions dans cette dynamique. Néanmoins, l’expérience de ces dernières années nous a appris que les démarches nées de l’initiative des équipes soignantes, dans une logique « bottom up », avaient de meilleures chances de voir leur implantation réussir.
Comme dans d’autres domaines, la Romandie a toujours revendiqué sa différence. Ainsi les expressions régionales de l’intégration des soins se reflètent aussi dans les différences culturelles qui caractérisent notre pays. Alors qu’Outre-Sarine les autorités publiques assument un rôle peu interventionniste, l’Etat joue un rôle de premier plan dans l’organisation du paysage sanitaire romand. Cette réalité donne lieu à des projets ambitieux qui, bien que prêtant quelquefois le flanc à la critique, ont le mérite de s’atteler de façon concrète aux problèmes du système de santé. Les cantons romands sont aussi le fer de lance du dossier médical informatisé.
Ce n’est un secret pour personne : le monde de la santé en Suisse connaît des mutations profondes. Coûts élevés, fragmentation, relève médicale insuffisante, nouvelles technologies, évolution des besoins d’une population vieillissante… Ces facteurs sont en train de précipiter des évolutions profondes dont la rapidité n’est pas à sous-estimer.
Ce numéro de fmc impulsese propose de laisser la parole à quelques uns des acteurs les plus en vue de Suisse romande, provenant de secteurs différents, qui nous permettront d’écarter un instant le rideau jeté sur le Röstigraben.

La nécessaire transformation pour répondre aux besoins de demain
Chantal Grandchamp, cheffe « Information, Développement et Support » de la santé publique canton Vaud
Face aux changements majeurs impactant notre système de santé, offrons-nous la chance de le repenser, de remettre l’essentiel au centre des préoccupations, et ce tout simplement pour nous assurer d’avoir un système de santé à la hauteur de nos attentes et de nos possibilités pour le jour où notre génération en aura besoin !

La Suisse a l’un des meilleurs systèmes de santé au monde : c’est très probablement vrai aujourd’hui, mais cela ne le sera certainement plus demain si nous ne l’adaptons pas de façon majeure aux besoins à venir. Notre système de santé est construit en silo avec l’hôpital au centre du dispositif, garant final des soins à la population ; ce mode de faire est extrêmement efficace pour répondre aux problèmes aigus… mais coûteux et peu efficace pour les problèmes qui relèvent des prise en charge à long terme et chroniques. L’évolution technologique des moyens diagnostiques et thérapeutiques a ouvert des possibilités d’intervention incroyables et donne des perspectives qui peuvent même donner le vertige. Toutefois, ce n’est qu’une face de la médaille. De l’autre côté, de nombreux patients, notamment souffrants de maladies chroniques et multiples, subissent une organisation des soins fragmentée et discontinue, parfois chaotique et déstabilisante, centrée autour de la médecine de pointe et du volume d’interventions plutôt que de l’accompagnement, du soutien et du respect de leurs volontés.
Passer d’un système qui guérit à un système qui soigne
Le vieillissement de la population, la prévalence des maladies chroniques, mais aussi la digitalisation de l’information, le rythme enivrant des innovations technologiques et la nouvelle posture des patients vont mettre à mal notre système de santé ces prochaines années si nous n’agissons pas aujourd’hui pour changer de paradigme : passer d’un système qui guérit (« cure ») à un système qui soigne (« care »). L’enjeu central est bien la rareté des ressources, pas seulement les ressources financières qui ne résulte finalement que d’un choix d’allocation, mais surtout des ressources humaines nécessaires au fonctionnement de notre système actuel en prévision des besoins de demain.
Globalement, les réponses sont à trouver dans un meilleur équilibre entre promotion de la santé, prévention, soins aux malades chroniques et prises en charge stationnaire (hôpital, hébergement). Le Canton de Vaud a déjà fait œuvre de pionnier en Suisse dans le domaine du maintien à domicile et par la constitution des réseaux de soins. Il s’agit donc de continuer sur cette lancée pour assurer que l’hôpital ne pallie plus aux insuffisances croissantes des dispositifs communautaires. Un renforcement de ce dispositif communautaire centré sur la personne dans son lieu de vie est donc incontournable, et ce au profit d’une moindre croissance de l’activité stationnaire « classique ».
Le Canton de Vaud a mis en consultation un projet de réforme pour une meilleure prise en charge des personnes, et ce tout au long de leur parcours de vie. Nouvellement créées, quatre Régions de Santé assumeraient dans ce cadre une responsabilité envers toute la population de la région concernée, et ce dans les domaines suivants : la prévention, la prise en charge des malades chroniques, les soins et l'accompagnement social et médico-social.
Assurer le pilotage du système de santé
Une telle organisation impliquera la mise en place et le conventionnement de nombreuses collaborations avec les acteurs de terrain dans la perspective de renforcer les liens avec la médecine de premier recours, de permettre davantage de fins de vie à domicile, de veiller à maintenir au mieux l’autonomie des personnes.
Pour accompagner un tel changement, il sera aussi nécessaire de développer des outils et des processus favorisant la continuité et la coordination des soins. Un décret récemment adopté par le Grand conseil vaudois inscrit ainsi le dossier électronique du patient comme un outil à développer de manière prioritaire, avant tout pour les patients souffrant de pathologies chroniques. L’échange et le partage sécurisé d’informations entre les intervenants sous une forme électronique sera ainsi facilité. Le décret prévoit également le déploiement d’un langage commun entre tous les prestataires de soins avec l’adoption des outils d’évaluation des patients interRAI.
Le système de santé devra enfin s’organiser pour allouer les ressources en visant une meilleure adéquation des prestations. Pour cela, un système d’information performant et cohérent sera indispensable pour assurer le pilotage du système de santé, sur la base de données populationnelles et d’activités.
Les années à venir risquent d’être passionnantes et riches en apprentissage !

Coordination des soins en médecine de famille dans le canton de Vaud
Prof. Nicolas Senn, directeur de l'Institut universitaire de médecine de famille (IUMF), policlinique médicale universitaire de Lausanne (PMU)
Paradoxalement, en Suisse on observe un mode de fonctionnement des cabinets de médecine de famille que l’on peut qualifier de médico-centrés, c’est-à-dire où le médecin « fait tout ». En effet, très peu d’interventions décrites ci-dessus sont réellement implantée actuellement.

La définition des « soins intégrés » peut être très différente selon le contexte. On y retrouve cependant toujours des éléments centraux tels que l’interprofessionnalité et des soins centrés sur le patient notamment. La « coordination des soins » est une notion parfois également utilisée, proche des soins intégrés. Parler de coordination des soins est parfois mieux perçu par les acteurs de la santé et une abondante littérature traite ce sujet avec une plus grande homogénéité de définitions.
Une étude réalisée par Mc Donald et al. en 2007(1) propose la définition suivante : « La coordination des soins est l’organisation volontaire des soins du patient entre deux personnes ou plus (incluant le patient) et impliqués dans la prise en charge du patient, afin de faciliter l’utilisation appropriée des services de santé. Cette organisation nécessite le déploiement de personnels et d’autres ressources indispensables au bon déroulement des soins et souvent assurés par l’échange d’informations entre les différents prestataires ». Lors d’un récent travail de revue de littérature sur les interventions à même d’améliorer la coordination des soins en médecine de famille, nous avons retenu cette définition qui couvre l’essentiel des notions de soins intégrés mais en apportant des éléments opérationnels plus spécifiques en lien avec la coordination. (2)
Lorsque l’on parle de coordination des soins, on distingue 9 catégories différentes d’interventions selon le travail de Powel Dewis en 2008.(3)Les 9 catégories sont retrouvées dans le tableau 1 ci-dessous. On voit que ces catégories couvrent largement les aspects de communication avec le patient et entre les soignants mais également des notions plus structurelles de l’organisation des soins.
Tableau 1 : Catégories d’intervention concernant la coordination des soins, adapté selon Powell Davies et col. (3)
N° |
Catégories d’intervention |
1 |
Communication entre les soignants |
2 |
Système de soutien à la coordination des soins |
3 |
Coordination des activités cliniques |
4 |
Soutien aux soignants |
5 |
Structurer les relations entre les soignants ou entre les soignants et les patients |
6 |
Soutien aux patients |
7 |
Arrangement, financement ou gestion commune |
8 |
Accord formel inter-organisationnel |
9 |
Organisation du système de santé (ex : mode de financement) |
Lors de notre travail de revue de littérature, nous avons utilisé ce canevas pour répertorier les interventions ayant démontré un impact positif sur la coordination des soins. Parmi les 25 interventions identifiées, la moitié intègre au moins un aspect d’interprofessionnalité. On retrouve parmi les interventions les plus susceptibles d’améliorer la coordination, le dossier électronique du patient, les gestionnaires de cas, l’élaboration de plans de soins individualisés ou les programmes d’éducation des patients.
Paradoxalement, en Suisse on observe un mode de fonctionnement des cabinets de médecine de famille que l’on peut qualifier de médico-centrés, c’est-à-dire où le médecin « fait tout ». (4)En effet, très peu d’interventions décrites ci-dessus sont réellement implantée actuellement.
Fort de ce double constat, une littérature scientifique abondante sur les éléments à même d’améliorer la coordination et l’intégration des soins en médecine de famille ainsi que l’existence actuelle d’un modèle d’organisation centré sur le médecin, nous avons décidé, à l’Institut universitaire de médecine de famille (IUMF) en collaboration avec le Service de la santé publique du Canton de Vaud, de travailler sur l’élaboration d’un nouveau modèle de coordination des soins en médecine de famille.
Ce modèle doit permettre notamment une amélioration de la prise en charge des patients complexes suivis en médecine de famille. En bref, il est composé de 3 éléments centraux que sont le dossier informatisé du patient, les gestionnaires de cas et les plans de soins individuels (Figure 1). Nous sommes actuellement en train de développer sur un mode participatif entre les différents acteurs de la santé les détails de ce nouveau modèle de fonctionnement des cabinets, ce qui devrait aboutir à une mise en œuvre pilote.
Figure 1 : Concept d’une intervention dans le canton de Vaud


En conclusion, comme nous l’avons vu, l’évolution vers des soins intégrés passe par une amélioration des éléments concrets de coordination, essentiellement en lien avec des aspects de transfert d’informations et d’interprofessionnalité sur lesquels il sera important de travailler en médecine de famille.
1. McDonald K. Closing the Quality Gap - A Critical Analysis of Quality Improvement Strategies: Agency for Healthcare Research and Quality.; 2007.
2. Ochs N, Cornuz J, Senn N. Médecine de famille et coordination des soins: revue de la littérature et perspectives pour le canton de Vaud Lausanne: Service de la Santé Publique du Canton de Vaud; 2015 [Available from: http://www.pmu-lausanne.ch/pmu-recherche-publications-coordination-soins-vaud.pdf.
3. Powell Davies G, Williams AM, Larsen K, Perkins D, Roland M, Harris MF. Coordinating primary health care: an analysis of the outcomes of a systematic review. Med J Aust. 2008;188(8 Suppl):S65-8.
4. Senn N, Ebert S, Cohidon C. La médecine de famille en Suisse. Analyse et perspectives sur la base des indicateurs du programme SPAM (Swiss Primary Care Active Monitoring)(Obsan Dossier 55). 2016.
Pour plus d’informations : www.pmu-lausanne.ch

Le parcours clinique du patient au centre des préoccupations
Gabriel Bader, directeur général de NOMAD (Neuchâtel Organise le Maintien A Domicile)
A l’instar d’autres cantons romands, Neuchâtel développe le maintien à domicile. Quel rôle les acteurs de l’ambulatoire et du domicile joueront dans le développement d’une culture des soins intégrés ?

Les réseaux de soins ont le mérite de proposer une collaboration entre le patient, le médecin et le financeur, qui plus est en se penchant sur le parcours clinique du patient.
Le risque est de voir cette finalité confinée à des acteurs qui ne représentent pas l’entier du paysage sanitaire dans lequel le patient va évoluer, voire de servir des intérêts économiques louables mais pas premiers. L’enjeu de l’intégration des soins mérite d’être constamment recentré sur le parcours clinique du patient et pour cette raison, il doit concerner de plus en plus l’ensemble des acteurs.
Un changement culturel, penser « local »
Penser les besoins sanitaires du patient en termes de paysage constitue une véritable révolution culturelle qui n’est pas gagnée. Tout le monde en parle mais notre héritage culturel retient les acteurs de la santé dans leurs silos respectifs. Le contexte sanitaire neuchâtelois, hésitant dans les choix de société qui s’imposent, n’est qu’un reflet de ces tensions, contradictions et autres ambiguïtés. Globalement donc, ce n’est pas encore réussi. A qui la faute ?
Plutôt que de chercher la paille dans le silo du voisin, j’ose soulever la poutre qui me retient dans le mien. Les soins à domicile vivent une évolution extraordinaire à l’heure où les responsables politiques et sanitaires mesurent les effets du vieillissement de la population. Avec cette prise de conscience, les nouveaux outils (catalogue de prestations, outils d’évaluation, dossier informatisé du patient) sont salués et indispensables. Pourtant, le recul dont nous bénéficions aujourd’hui nous permet de mesurer qu’ils contribuent à une forme de séquençage de la prise en charge, comme si, au sein même d’une même organisation, nous réussissions à recréer des mini-silos, alignant une somme de prestations à réaliser au détriment d’une prise en charge intégrée. Se poser la question d’un réseau de soins passe sans doute par des remises en question internes, si l’on entend aller dans le sens d’une coordination qui bénéficie au patient.
Elargir le champ, agir « global »
Les évolutions attendues en termes de soins ambulatoires et prises en charge à domicile ouvrent des perspectives nouvelles dans l’évolution de soins intégrés. Quels dispositifs sommes-nous prêts à mettre en place pour voir des plates-formes se créer – virtuelles ou sous une forme organisée – où patients, hôpitaux, EMS, médecins traitants, spécialistes, soins à domicile, pharmaciens, assistants sociaux et financeurs mettent en œuvre des modèles de prises en charge concertées, cohérentes, économes et intégrées ? Les réseaux de soins constituent des dispositifs qui mériteraient d’être modélisés en intégrant d’autres acteurs. Des exemples existent. Neuchâtel fait sans doute partie de régions qui pourraient s’en inspirer.
Pour plus d’informations : www.nomad-ne.ch

Une approche intégrée pour une révolution
Picchiottino Patricia, Directrice adjointe, Centre interprofessionnel de Simulation (CIS)
L’accent mis sur la collaboration interprofessionnelle et l’articulation entre les acteurs de formation pré, post-graduée et continue pourrait permettre à terme l’instauration d’une nouvelle culture collaborative, en partenariat avec le patient et ses proches.

Le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques font partie des défis majeurs pour notre système de santé. Pour répondre à la complexité des situations rencontrées, les professionnels doivent collaborer quotidiennement au sein du réseau intra ou extrahospitalier pour articuler les compétences spécifiques nécessaires à la prise en soins du patient.
Cette évolution du contexte nécessite ainsi de repenser la façon de collaborer, de communiquer, de déterminer les limites des rôles et responsabilités de chacun, de développer des types de leadership moins stéréotypés, plus partagés, dans le but d’évoluer vers une plus grande efficience, mais aussi de prévenir les failles de coordination pouvant entrainer des soins sous-optimaux ou des événements indésirables graves pour les patients.
Un outil pédagogique novateur
Jusqu’à récemment, les différents professionnels de santé étaient formés « en silo », l’enseignement étant basé sur la compétence individuelle plus que sur les performances collectives. Comment dans ce contexte éviter les représentations erronées, les incompréhensions, les divergences d’attentes des uns par rapport aux autres ? Comment former des équipes performantes si les individualités, certes compétentes, n’ont jamais eu l’occasion de se côtoyer, de parler un langage commun avant de se retrouver sur le terrain professionnel ?
Une collaboration entre les institutions de formation, entre des acteurs de la formation pré-graduée et la formation continue, entre des cliniciens de l’intra et de l’extra-hospitalier, a mené à la création d’axes de formation aux compétences interprofessionnelles qui pourraient déboucher sur une nouvelle culture commune.
Un de ces axes est la création de trois modules interprofessionnels en formation pré-graduée, dont la finalité est de développer un socle de compétences génériques au travail collaboratif. Ils s’adressent depuis 2012 aux 5 filières de la Haute Ecole de Santé de Genève et aux étudiants en médecine de l’Université de Genève.
Un outil pédagogique novateur pour développer ces compétences est l’enseignement par simulation. Ce type de pédagogie active permet de développer et d’entrainer, grâce à des mises en situations au plus près de la réalité professionnelle, des compétences spécifiques nécessaires à une bonne collaboration : communication structurée, prise de leadership, gestion de conflit, prise de décision et pose d’objectifs d’équipe en partenariat avec le patient par exemple.
Le modèle TeamSTEPPS
Le deuxième axe touche la formation continue d’équipes interprofessionnelles déjà en exercice. A travers la simulation de situations de crise ou complexes, mais aussi en implémentant des modèles systémiques visant à promouvoir la collaboration interprofessionnelle, comme le modèle TeamSTEPPS[1], certains services prennent le relais de la formation pré-graduée dans l’entrainement des compétences collaboratives dans des contextes sensibles.
L’accent mis sur la collaboration interprofessionnelle et l’articulation entre les acteurs de formation pré, post-graduée et continue pourrait permettre à terme l’instauration d’une nouvelle culture collaborative, en partenariat avec le patient et ses proches. Ce changement pourrait bien être une des clés pour répondre de façon intégrée aux grands défis du système de santé de demain.
[1]US Department of Helath & Human Services et AHRQ TeamStepps 2.0 : National Implantation. Document sur site : www.teamstepps.ahrq.govfor Professionnals Education &Training, 2014

L’intégration des soins : gare au miroir aux alouettes !
Dr Philippe Schaller, co-fondateur du groupe médical d’Onex et du réseau de soins Delta
L’intégration des soins est un concept à la mode dont la finalité est parfois floue voir absente des politiques managériales, vouloir l’imposer par des réformes structurelles a montré ses limites, à contrario, s’intéresser aux parcours de soins des patients complexes et à l’innovation organisationnelle semble être une vision porteuse d’avenir.

Quand on parle d’intégration, on pense en premier lieu à l’intégration des différentes unités de production des soins et à l’efficience que l’on pourrait en obtenir. Les désillusions en la matière sont nombreuses en raison des résistances professionnelles, de l’intérêt des différents acteurs ainsi que des modes d’allocation des ressources. L’intégration des soins n’a pas su convaincre les politiques ni séduire la population. Pourtant nous savons que c’est la façon par laquelle notre système de santé pourra maîtriser les dysfonctionnements actuels : fragmentation des soins, utilisation inadéquate des ressources, accès, de plus en plus, inéquitable à certains services, augmentation des coûts, etc.
Devant ce constat d’échec en faveur d’une restructuration du système de soins, il peut être utile de s’intéresser à des expériences de prises en charge de patients complexes réussies. S’intéresser à la logique de l’intuition de groupes de soignants plutôt que de rester bloqué sur un modèle de pensée uniquement axée sur une logique de concurrence et une logique de productivité des soins.
L’intégration du point de vue des patients
L’insatisfaction des patients à propos de notre système de soins découle, entre autre, de la fragmentation de son organisation. La continuité des soins est l’un des éléments clés de la qualité des services offerts à la population, notamment pour les patients complexes. Ces ruptures dans la continuité des services engendrent des problèmes affectant leur efficacité, leur efficience et leur qualité.
Il existe trois aspects de la continuité des soins : a) une continuité relationnelle qui désigne une relation thérapeutique constante, b) une continuité informationnelle qui s’appuie sur la disponibilité de l’information, c) une continuité d’approche qui met l’accent sur la cohérence du plan de soins partagé.
L’intégration des soins n’est qu’un moyen pour assurer cette continuité et nous avons appris qu’il n’est pas possible d’intégrer tous les services pour toute la population et qu’il est plus efficace d’intégrer tous les services pour les patients complexes et fragiles qui engendrent, quant à eux, le deux tiers des coûts.
S’intéresser aux patients complexes
Il s’agit bien d’assurer un continuum de services médicaux et sociaux pour les patients complexes au sein de leur territoire de santé, ceci sans rupture. L’expérience, de terrain, montre que l’équipe de soins dédiée aux situations complexes basée sur une pratique de collaboration interprofessionnelle formelle et structurée permet de clarifier les rôle de chacun, de transférer l’information et d’élaborer un plan de soins partagés.
Ces équipes de soins doivent dépendre de nouvelles formes d’organisations que sont les plateformes de services à base régionales. Les ingrédients sont connus : a) identification d’un médecin de famille responsable, b) une équipe médico-sociale centrée sur le patient complexe, c) un plan de soins partagé entre tous les intervenants, d) un mécanisme convivial de transmission de l’information, e) une forme d’auto-gouvernance et d’ajustement à la complexité de l’équipe de soins.
Développer de nouvelles formes d’organisations
Il s’agit de développer au sein du système de soins des pratiques qualifiées d’innovantes qui proviennent des structures de soins elle-même, de convictions de professionnels, de procédures cliniques en réponse à des situations de patients complexes, de bon sens, d’échange entre professionnels et de transferts de compétences. Il s’agit, bien, de développer de nouvelles formes d’organisations en rupture avec les institutions reconnues et largement subventionnée, devenues inefficaces. Il s’agit d’apporter de l’innovation de rupture au sein du système de soins.
La maison de santé, Cité générations, et l’EMS Résidence Beauregard à Onex (Genève), dans le cadre d’un projet pilote, démontrent que de nouveaux modèles de pratiques visant à une meilleure continuité des services sont possibles et que cet accompagnement des parcours de soins individualisés et de proximité permettent d’éviter des hospitalisations inappropriées ainsi que des institutionnalisations prématurées.
Un immense potentiel d’innovation
Son objectif : répondre le plus adéquatement possible aux besoins des personnes âgées en perte d’autonomie, dans le respect de leur dignité, en tenant compte de leurs choix et en favorisant l’utilisation optimale des ressources disponibles.Il reste que cette expérience soit valorisée et évaluée afin que ces pratiques soient largement diffusées.
A ce stade, l’intégration est un processus visant la création d’un espace commun entre des organisations œuvrant sur un même territoire de santé qui se rapprochent pour améliorer la continuité des soins et améliorer leur propre fonctionnement. Il en résulte un immense potentiel d’innovation.
L’auteur tient à remercier son ancien patron, André-Pierre Contandriopoulos de l’université de Montréal, qui lui a appris tout le sens du mot intégration.
« L'intégration est le processus qui consiste à créer et à maintenir, au cours du temps, une gouverne commune entre des acteurs (et des organisations) autonomes dans le but de coordonner leurs interdépendances pour leur permettre de coopérer à la réalisation d’un projet collectif. »
Pour plus d’informations : www.reseau-delta.ch, www.cite-generations.ch,www.gmo.ch