Tous les systèmes de rémunération ont leur lot d’incitations inefficaces
En juin, le fmc a publié sa Matière à réflexion no 3 « Modèles de rémunération liée à la performance à l’horizon 2015 ». Pour le professeur Urs Brügger, directeur de l’Institut d’économie de la santé de Winterthour (Winterthurer Institut für Gesundheitsökonomie), il ne fait aucun doute que de nouveaux modèles de rémunération sont nécessaires. Il plaide pour davantage de forfaits et annonce en même temps que « le système de rémunération parfait n’existe pas. »
Monsieur Brügger, de nombreux experts critiquent aujourd’hui le fait que les systèmes de rémunération actuels comme Tarmed ou DRG récompensent en premier lieu la quantité. Qu’y a-t-il de mal à cela ? Avec une avocate, un jardinier ou un peintre, c’est la règle qui s’applique.
Urs Brügger : Il existe une différence de taille entre le système de santé et vos exemples : au bout du compte, dans le système de santé, ce n’est pas le client ou le patient qui paye la facture. De plus, il est très difficile pour la patiente ou le patient d’évaluer ce dont elle ou il a vraiment besoin. Ces deux écueils associés aux systèmes de rémunération qui récompensent la quantité ont pour résultat que notre système est enclin à l’excès de soins et au gaspillage. Le secteur de la santé étant un domaine de l’assurance sociale financé en grande partie par solidarité, cette situation est particulièrement problématique.
Comme alternative à la quantité, les spécialistes proposent la qualité ou la performance. Mais il est quasiment impossible d’en saisir l’objectivité. Peuvent-elles quand même servir de base pour la rémunération dans le secteur de la santé ?
« Pay for performance » est une ligne directrice prometteuse et elle est utilisée dans différents pays. Cependant, les attentes n’ont pas encore pu être satisfaites. Le problème, c’est qu’il est très difficile de mesurer la qualité des résultats. Or c’est un critère primordial. Par ailleurs, les prestataires tendent à orienter leurs actes sur les indicateurs définis et à négliger d’autres choses...
…« Pay for performance » est donc un échec.
Non, l’idée reste bonne. Mais elle doit être perfectionnée, testée dans des projets pilotes et évaluée.
Peut-être existe-t-il d’autres alternatives : en juin, le conseiller national PLR Matthias Jauslin a soumis un postulat proposant la suppression du Tarmed et une libre fixation des prix entre les prestataires et les assureurs.
Au premier abord, l’offre est séduisante. Mais le succès de l’entreprise ne peut être assuré que si certaines conditions centrales sont garanties : premièrement, les obligations de contracter doivent être abolies. Ensuite, des standards minimaux de qualité, de niveau de prise en charge et d’égalité d’accès aux soins doivent être définis et ils doivent pouvoir être contrôlés. D’un autre côté, le système de santé ne fonctionne pas comme un marché à part entière. C’est pourquoi la libre fixation des prix me paraît intéressante, mais inadaptée à notre secteur de santé.
Un point fait l’unanimité : développer et implémenter des systèmes de rémunération innovants s’avère long et complexe. Comment motiver les prestataires ?
Nous avons besoin de systèmes de rémunération novateurs, c’est indéniable. Pour qu’ils puissent être développés, testés, évalués puis appliqués à grande échelle, nous avons besoin de la recherche et des moyens correspondants. Pour motiver les prestataires, on peut, le cas échéant, les dédommager pour le surplus de travail occasionné par les tests. Ils peuvent aussi être motivés par la volonté d’acquérir de l’expérience avec le système et d’être ainsi mieux préparés s’il est introduit. Ou alors ils peuvent être intégrés au développement avec leurs besoins spécifiques axés sur la pratique. La fmCH, l’association faîtière des chirurgiens, montre que les prestataires sont ouverts à de nouveaux systèmes de rémunération : elle a proposé d’appliquer les forfaits par cas pour les interventions en ambulatoire.
Et les assureurs ? D’un côté, tout leur paraît mieux que les rémunérations de prestations isolées. D’un autre côté, ils émettent des réserves à chaque nouvelle proposition : trop compliqué à calculer, difficile à appliquer...
Les assureurs pourraient soutenir les projets de recherche pour de nouveaux modèles de rémunération, en particulier en fournissant des données et en assistant des projets pilotes. D’autre part, ils pourraient intégrer des formes innovantes de rémunération dans les négociations des tarifs et veiller à ce que les effets soient évalués. Même dans le cadre d’un petit projet pilote, cela serait utile. Markus Moser, le « père juridique » de la LAMal répète que la loi autorise beaucoup plus de possibilités pour les systèmes tarifaires que ce que nous constatons aujourd’hui, en particulier pour les modèles forfaitaires.
Dans la Matière à réflexion du fmc « Modèles de rémunération liée à la performance à l’horizon 2025 », le président de l’ASSM Daniel Scheidegger écrit : « En fait, c’est nous, en tant que citoyens, assurés et patients, qui devrions prendre l’initiative et exiger de nouveaux systèmes. » Est-ce réaliste ?
Exiger de nouveaux modèles de rémunération plus incitatifs est dans l’intérêt de tous les patients. Leurs possibilités d’influence directe sont certes limitées, mais leurs représentants sont les hommes et les femmes politiques. La politique doit donc garantir l’amélioration des conditions cadres pour les nouveaux systèmes de rémunération, par exemple ceux basés sur la performance.
Si vous deviez créer un système inédit de rémunération pour les prestations médicales, à quoi ressemblerait-il ?
Le système de rémunération parfait n’existe pas. Tous les systèmes de rémunération ont leur lot d’incitations inefficaces. La première étape est l’homogénéisation du financement, c’est-à-dire la suppression de la séparation entre ambulatoire et stationnaire. Mon système idéal serait un mélange entre différents systèmes de rémunération. Je pense que les forfaits complexes sont prometteurs. Il s’agit de forfaits par cas couvrant toute la chaîne de traitement et donc les différents prestataires. On pourrait aussi introduire des forfaits annuels pour les patients chroniques. Le mieux serait de les combiner avec des contrats pluriannuels car l’amélioration du rapport coût/efficacité induite par les changements de comportement n’est visible qu’après un ou deux ans. Grâce à cela, les traitements et les signes cliniques les plus fréquents devraient être couverts avec une utilisation maximale des ressources. Quoi qu’il en soit, ces systèmes doivent être associés à des instruments de contrôle de la qualité, sinon ils ne seront pas acceptés. Enfin, pour des raisons pratiques, je conserverais une partie des prestations isolées. En tous cas, un système de rémunération doit être conçu comme un système évolutif et s’adapter aux évolutions techniques et organisationnelles du secteur de la santé.
À partir du 1erjanvier 2018, vous serez à la tête du département de la santé de la Haute École spécialisée bernoise. De quelle manière votre nouvelle mission sera-t-elle profitable aux soins intégrés ?
Je suis convaincu que tous les segments professionnels qui y sont représentés – soins infirmiers, physiothérapie, sages-femmes et nutrition – jouent un rôle décisif dans les soins intégrés car ils peuvent prendre en charge de plus en plus de tâches coordonnées : les infirmiers et infirmières en pratique avancée, par exemple, dans la prise en charge de patients chroniques complexes, les sages-femmes dans la prise en charge de la naissance. L’activité physique et l’alimentation sont des facteurs décisifs, aussi bien pour la promotion et la prévention de la santé que pour le traitement et la guérison des maladies. Si nous renforçons ces professions de santé, nous renforcerons les soins intégrés.
Entretien : Urs Zanoni