Les innovations ont été rares ces dernières années

Depuis janvier 2017, Philippe Luchsinger est président de l’association des Médecins de famille et de l’enfance Suisse (mfe). Il pronostique un assainissement des réseaux de médecins qui fera renaître l’innovation. Il espère également que les hôpitaux prendront davantage conscience de l’importance d’intégrer les médecins de premier recours.

Monsieur Luchsinger, l’avenir de la médecine est féminin. Pourquoi mfe a-t-elle élu un homme à la fonction de nouveau président ?

Je vois dans cette élection le signe que mfe est en avance sur ce point. Nous ne nous attardons plus sur les questions de genre. Chez nous, le sexe biologique n’a aucune importance. Ce qui compte, ce sont les compétences. Par ailleurs, je ne suis pas seul à représenter l’association mfe. Je fais partie d’une équipe efficace composée de femmes et d’hommes qui fournissent un excellent travail.

Est-ce que les médecins de famille de sexe féminin pratiquent une autre médecine que leurs homologues masculins ?

Oui et non. En général, les femmes sont plus prudentes, plus circonspectes. Mais il leur est aussi plus difficile de prendre des décisions. Elles sont plus sujettes au doute que les hommes car elles sont moins sûres d’elles. Là où il n’y a aucune différence, c’est que femmes et hommes placent toujours le patient au centre de leur travail.

Si l’avenir de la médecine est féminin, il est aussi chronique: les patients chroniques ont besoin d’une équipe complète assurant leurs soins et leur prise en charge. Le mot clé, c’est l’interprofessionalité. Les médecins sont-ils disposés à partager leur travail avec les pharmaciens, le personnel soignant spécialisé, les physiothérapeutes et les autres professions ?

Absolument. Les médecins de famille ont la fâcheuse habitude de ne pas penser qu’à eux, mais de prendre en compte le système dans sa globalité. Ce réflexe nous vient de notre travail: quand nous soignons un patient, nous l’envisageons comme une personne intégrée à sa famille, à son environnement social. Nous ne sommes pas fixés sur une maladie ou un problème en particulier. Les médecins de famille ont compris depuis longtemps que l’avenir réside dans l’interprofessionalité.

Comment s’est traduite cette prise de conscience ?

Nous avons créé la plateforme www.interprofessionalite.ch. Elle intègre tous les groupes professionnels qui s’occupent des patients dans le secteur ambulatoire. Notre première formation à l’interprofessionalité aura lieu en mars, à Soleure. Pour cet événement, nous faisons venir des spécialistes de l’Université de Toronto. C’est un signe clair en faveur du travail d’équipe!

Selon le conseiller national Ignazio Cassis, 20% des prestations fournies aujourd’hui par les médecins seront fournies par d’autres professionnels dans 10 ans. Cette estimation est-elle réaliste?

J’espère que ce transfert de 20% « suffira » et qu’il nous permettra alors d’assurer la couverture des besoins de santé de toute la population! Il existe des disciplines où nous pouvons confier la réalisation de certains examens techniques, par exemple des coloscopies, à un personnel formé et spécialisé. Mais où le trouver? C’est la même chose pour la prise en charge de maladies chroniques polymorbides: les soignants, les pharmaciens et les assistants de cabinet médical peuvent se charger de certaines tâches, mais ils sont trop peu nombreux. Nous allons devoir faire un gros effort de consolidation du réseau médical pour pouvoir garantir la prise en charge de la population.

En collaboration avec l’Obsan et l’Université de Lausanne, le fmc a procédé à une collecte de données sur les soins intégrés en Suisse. Parmi les 155 projets sélectionnés et évalués, seuls 9 étaient issus de réseaux de médecins. Manifestement, leurs membres considèrent encore faire partie d’un réseau de médecins (intégration horizontale) et non d’un réseau de soins (intégration verticale).

Avez-vous déjà vu un hôpital faire le moindre compromis pour accepter une coopération ? Cela suffit à répondre à la question. Quand les réseaux de médecins s’approchent des hôpitaux avec leurs exigences en matière d’échanges, d’informations et de collaboration, on entend toujours la même chose: « Ça ne fonctionnera pas, ce n’est pas possible dans nos structures, nous ne pouvons faire aucune concession. » Dans ces conditions, il est impossible de mener à bien un projet ou une collaboration intégrative avec des hôpitaux. Les projets intégrant deux niveaux de soins sont directement initiés par les hôpitaux, qui couvrent eux-mêmes les secteurs stationnaire et ambulatoire sans tenir compte des cabinets médicaux. Cette pratique est-elle intégrative ?

Pour les patients chroniques, c’est sur le réseau de médecins que doit reposer la prise en charge, le recours à l’hôpital n’étant nécessaire qu’en cas de « crise ». Mais en cas de crise justement, les hôpitaux sont bien obligés de collaborer avec les cabinets ou les réseaux pour assurer le transfert de la prise en charge! ?

Dans ce cas de figure, deux niveaux sont concernés. Le premier niveau est la prise en charge directe du patient. Elle est assurée par le médecin de famille, qui est, en principe, l’interlocuteur ou l’interlocutrice direct(e) des hôpitaux. Mais ce point de jonction est encore loin de fonctionner parfaitement. Le deuxième niveau, c’est celui des réseaux. Ils peuvent élaborer des bases de travail, par exemple des contrats de collaboration permettant de simplifier et d’améliorer le transfert de la prise en charge. Sur ces deux niveaux, les hôpitaux ont encore beaucoup de mal à comprendre qu’ils doivent collaborer avec les médecins de famille.

Par le passé, les réseaux de médecins étaient le moteur des soins intégrés. Aujourd’hui, d’autres acteurs occupent le devant de la scène : les hôpitaux prennent la direction de maisons de retraite médicalisées et de cabinets médicaux, la Migros intègre des cabinets médicaux et lance des actions de prévention et de promotion de la santé, de médecine du sport. Que font les réseaux de médecins pour rester dans la course ?

La question à se poser est la suivante: quel objectif poursuit-on en pratiquant les soins intégrés? S’agit-il d’optimiser la collaboration des acteurs médicaux pour le bien du patient ? (Pour les réseaux de médecins, la réponse est évidemment « oui ».) Ou l’objectif est-il principalement économique ? Est-ce que je construis un réseau pour maintenir mon hôpital en activité en recevant un maximum d’allocations – et je ne parle même pas de rentabilité ? Ou est-ce que j’intègre des cabinets médicaux dans un grand groupe qui veut compléter la chaîne alimentaire-non alimentaire-sport-loisirs-médicaments ? La bonne nouvelle pour nos jeunes collègues, c’est qu’investir dans un cabinet médical vaut vraiment le coup. Alors investissez ! Pour être équitable dans ma critique, je dois avouer que les innovations ont été rares ces dernières années. Je pense qu’un assainissement du réseau sera indispensable pour faire place à la nouveauté.

L’innovation, ce serait que les médecins établis misent davantage sur eHealth et sur le dossier patient électronique, par exemple pour la prise en charge de patients chroniques sous polymédication.

L’utilisation de ces outils suscite encore beaucoup d’incertitudes. Chez mfe, nous accompagnons et observons l’évolution d’eHealth depuis plusieurs années au sein d’une commission réunissant des experts en matière d’informatique appliquée aux besoins d’un cabinet médical. Mais en l’état actuel des choses, les beaux projets des politiques, des grandes groupes informatiques et de l’administration sont impossibles à mettre en pratique. Si l’échange électronique s’avère utile et bénéfique aux patients, nous sommes prêts à l’utiliser. Mais les médecins ne peuvent en aucun cas se voir imposer des mesures stériles impliquant un surplus de travail. Nous ne pouvons tout simplement pas nous le permettre.

L’année dernière, les médecins ont refusé la révision du Tarmed. Désormais, c’est le Conseil fédéral qui dictera les tarifs. Est-ce une bonne nouvelle pour les médecins de famille ?

La mission du Contrôle fédéral des finances est claire : les tarifs doivent être simplifiés et la situation des médecins de premier recours doit être améliorée. Ces deux points n’ont pas été satisfaits lors de la première révision. Ce refus n’a donc rien d’étonnant. Pour nous, il est clair que les tarifs doivent être élaborés par des personnes disposant des compétences requises. mfe est impliquée dans le nouveau projet de révision. Nous sommes à bord, nous participons aux discussions sur la valeur intrinsèque. Du reste, les assureurs aussi ont refusé la révision. Pourquoi n’est-ce jamais évoqué ?

Certes, mais vous n’avez pas répondu à la question : les tarifs imposés par le Conseil fédéral seront-il favorables aux médecins de famille et de l’enfance ?

Le Conseil fédéral ne peut pas « imposer » de tarif. Du point de vue de la loi, il est uniquement habilité à ajuster les tarifs existants. Le Conseil fédéral a déjà laissé entendre l’an dernier dans quels domaines les tarifs lui paraissaient exagérés, par exemple la radiologie ou l’ophtalmologie. Il est probable que des corrections seront faites dans ces secteurs. Dans les disciplines plus générales, je pense qu’il n’y aura aucun changement. Et comme nos prestations relèvent principalement de la médecine générale, rien ne devrait changer pour nous.

Entretien : Urs Zaoni

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